Incroyable légèreté Aug04

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Incroyable légèreté

 

L’incroyable légèreté de M. Benkirane

 

 

«  عفى الله عن ما سلف، ومن عاد فينتقم الله منه.” هذه فلسفتي في القضاء على الفساد، وأعتز بها” »
(« “Dieu pardonne ce qui est passé, et si quelqu’un récidive, Dieu se vengera de lui” Telle est ma politique de lutte contre la corruption, et j’en suis fier  »)

 

Voila donc ce qu’a déclaré le chef du gouvernement marocain Abdelilah Benkirane, citant un verset du Coran (Al Ma’ida, 95), sur Al Jazeera le 25 juillet 2012.

En soi, permettre à ceux qui ont pillé les caisses de l’Etat de s’en sortir à si bon compte est choquant. Difficile d’instaurer la culture de la reddition des comptes quand on amnistie d’emblée tous les corrompus…

Mais si on peut être contre l’amnistie générale (c’est mon cas), ce principe n’est pas totalement absurde non plus, et il n’a pas été inventé par M. Benkirane. C’est une politique qui, parfois, dans d’autres pays et d’autres contextes, a donné quelques résultats.

Son principe :

1. Se doter d’un arsenal de « law enforcement » solide, incluant notamment une Justice forte, indépendante et rétive à tout passe-droit;

2. Une fois cet arsenal fonctionnel, c’est-à-dire prêt à être mis en branle instantanément et de manière implacable, annoncer l’amnistie générale assortie d’une politique ferme de zéro tolérance à partir du moment où l’amnistie est prononcée;

3. A partir de ce même moment, se tenir prêt à punir tout nouveau contrevenant avec rapidité, sévérité, et sous médiatisation maximale. Objectif : faire des exemples marquants très vite, pour démontrer à l’opinion que l’amnistie était une mesure de réconciliation et d’apaisement social, pas une marque de faiblesse de l’Etat.

On le voit, l’amnistie générale est une pratique qui a ses règles, et sa logique. On ne peut la prononcer sans y être solidement préparé.

Or, qu’a fait le chef du gouvernement marocain ? Il a décrété l’amnistie générale, comme ça, au détour d’une interview, avec pour unique argument… un verset du Coran ! Ce qui ne peut fonctionner qu’en tant de politique d’Etat mûrement réfléchie et minutieusement préparée est devenu, dans la bouche de M. Benkirane, une figure rhétorique—pire, un happening oratoire—à connotation religieuse.

L’interviewer d’Al Jazeera n’en croyait pas ses oreilles. Il a interrompu le chef du gouvernement, insistant sur le fait que le Maroc était « le seul pays de la région à adopter la politique de l’amnistie générale ». On aurait pu croire qu’en entendant cela, M. Benkirane allait se réveiller, réaliser soudain que l’amnistie générale est bien « une politique », et non une formule à l’emporte pièce qu’on lâche dans une interview sans en mesurer la portée…

Mais non. Crâner fait aussi partie de la personnalité de notre chef de gouvernement. M. Benkirane a donc persisté, en tordant les plis de sa bouche en signe de défiance méprisante, comme il sait si bien le faire : « Oui Monsieur, c’est dans le Coran : Dieu se vengera ». Message subliminal à tous ceux qui vont critiquer cette saillie : « Quoi, vous ne croyez pas en Dieu ? »

Plus que le principe de l’amnistie (qui demeure discutable même si ses trois règles sont appliquées), c’est l’incroyable légèreté de Abdelilah Benkirane qui m’a réellement choqué. Cet homme se rend-t-il seulement compte de ce qu’il dit ? Réalise-t-il que sa spontanéité gouailleuse, qui a fait son succès quand il était dans l’opposition, est aujourd’hui totalement inappropriée vu la fonction qui est la sienne ?

Quand on est chef du gouvernement, M. Benkirane, on ne dit pas n’importe quoi. Surtout sur un sujet aussi grave que la corruption. Le Maroc a suffisamment souffert de ce fléau, pas besoin d’y ajouter une dose de ridicule.

Ahmed Benchemsi